Gymnopédies. Florence de Mèredieu

GYMNOPÉDIES*
« Pièces légères et atypiques ».

En hommage à Erik Satie et à La Monte Young

« Lâchez un papillon (ou un certain nombre de papillons) dans le lieu de la performance : celle-ci s’achève lorsque les papillons ont quitté la pièce. » [La Monte Young, Composition 1960 # 5]

Lignes. Courses. Eclipses. Cercles emboîtés. – L’architecture de la ligne s’est mise en mouvement. Un frisson parcourt la feuille, le plan, le champ du dessin. Une zébrure. Une faille soudaine. Une mazurka s’esquisse, dans un rythme endiablé, suivie d’un long — très long — glissando…

On se retrouve en plein cœur du ballet de l’écriture et du dessin, du stylet pointu, de la ligne traçante et de la programmation informatique. Celle-ci permet d’envisager des aléas, des repentirs, des méandres, des lignes dures en cascades… des trames, des ondes, des boucles. — Lâches. Effilochés. Ou bien ramassés. Serrés. — Pierre Braun s’amuse au fil des nombres, des algorithmes et de la répétition mathématique.

Sinusoïdes en forme de poires, de cloches tintinnabulantes. Echantillons formels. — Les lignes sont faites pour le retour sur elles-mêmes et la redondance. Entre gribouillis et Cy Twombly, elles se souviennent des mondes déjà parcourus… et anticipent les suivants. Un brouillard de lignes se constitue peu à peu. Et de subtiles toiles d’araignées.

La ligne bavarde, gazouille, se pique de quelques entrelacs. D’autres fois, elle grince, crie, hulule, fredonne une sonatine oubliée, une ritournelle émergée du fin fond de la machine et du programme… L’organigramme du parcours se mesure au rythme de ses différents mouvements.

« Sans titre (aile de l’oubli) », bandes de papiers déchirés/pages de presse quotidienne occultées, superposées, épinglés/toile. « Sinusoïdes 1& 2 », « Spirales carrées », « Trames et modules », « Passages », « Fréquences », « Boucles », « Écritures », « Sans titre (a_rand_walk1) », « Dessin à l’ordinateur » [rejoué et reproduit par un enfant de 5 ans], « Sans titre (onde) », « Sans titre (interférences) », « Sans titre (non inventorié) », gouache sur toile, « Curation (actualité culturelle Rennaise) », flyers déchirés, épinglés sur toile, « Histogramme, (sans titre) », bande de papiers déchirés, épinglés sur toile.

Comme chez Paul Klee, la ligne est en marche, en promenade. Nomade. Allègre. Aventureuse. Espiègle. — Protégeant ses secrets, elle revient fréquemment sur elle-même en zigzag, s’enroule autour de son axe, se replie autour de son centre, rejoint ces embryons de lignes qui se forment sur le mode d’une pleine partition, d’une lente [ou vive] chorégraphie.

Peu de couleurs dans cet univers. Le temps et l’atmosphère y sont au « graphique » et au « gris », la ligne noire déambulant sur un papier blanc, la ligne grise sur un fond noir. — Passant par là, un enfant – au fil de la composition et sur l’air de Cosi Fan Tutte – s’y est, toutefois, construit un cerceau coloré. Roue chromatique faite de « petits papiers » récupérés et re-cyclés [au sens littéral du terme] et d’une roue sans fin. « Colorées d’origine », ces déchirures de papier s’organisent sagement : du bleu au vert — en passant par les différentes nuances du violet, du rouge, de l’orangé, du jaune.

Entrechats. Pas de deux, de trois ou bien de quatre. Gymnopédies. — L’enfance de la ligne est comme retrouvée. Lignes et sons s’enchevêtrent, forment des agglomérats, conglomérats. C’est là le grumeau de la ligne : son intensité.

L’œuvre de Pierre Braun est faite de silences [Sans titre], de paroles en retraits et de ces onomatopées graphiques qui furent l’apanage des cultures dites « premières » ou « archaïques » – et que l’on ne trouverait plus guère que dans la bande dessinée, si la culture informatique ne s’en était massivement emparée. Splash…hhhhh, twittt…ttttt, vroom…mmmmm, gulp…ppppp. Les traits, les embryons de lignes — comme des bambins — se tiennent par la main et chantent à l’unisson… Il y a de l’humour dans la sarabande de ces lignes et de ces notes indéfiniment répétées…

Cueillir. Recueillir. Collecter. Re-collecter. La mémoire de l’algorithme est chargée de redondances, de rémanences. La ligne, le son en ressortent soutenus… prolongés… perpétués… repris… soulignés… accompagnés… arrondis… étirés… lancés en boucle… repliés [comme chez Varèse] en trapèze… en quinconce. Ils essaiment, se divisent, se subdivisent, s’additionnent, se multiplient et démultiplient, se soustraient secrètement à eux-mêmes et puis… réapparaissent… Triomphants. Vivaces. — Le papillon de La Monte Young hésite à s’envoler…

* « Gymnopédies » : Œuvres pour piano d’Erik Satie (1888)

pierre braun

Pierre braun vit et travaille à Rennes et Saint Malo.

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