Au milieu des années 90, je cherche à faire rentrer en résonance la peinture avec la digitalisation du monde traversée par le développement du calcul et de la reproduction numérique. Les dimensions génératives et relationnelles du travail de Lygia Clark, les boites de “bricodages” fluxus de George Brecht m’incitent à ouvrir l’espace de la toile pour la découper et organiser selon un autre programme le rituel pictural. Pour faire jouer le motif abstrait de la touche, les boites de bois contiennent des échantillons élémentaires de traits ou de bandes peintes et découpées dans la toile en suivant leur contours. Ces motifs découpés et peints permettent de coder en peignant ou de peindre en codant, de programmer ludiquement en épinglant des scénarios plastiques aux touchés haptiques.
Diversement mises en situation sur un coin de table, dans un mouchoir de poche, en petits tas, ou simplement épinglées à des toiles pour rejouer un mot, un chiffre ou un paysage liminaire, avec ou sans tracé, les touches semblent inviter les spectateurs à les manipuler pour déconstruire à l’infini et piéger avec humour un motif pictural en suivant une hypothétique règle de jeu au delà de l’évocation de la touche Cézannienne…
Individualisées et minimalistes, les touches de peintures évoquent également le système unaire de calcul. Ce système de numération et de codage élémentaire est celui qu’utilisent les prisonniers pour décompter les jours en les traçant par une marque sur le mur. Mais on peut aussi compter sur ses doigts ou s’approprier la règle du jeu de morpion ! C’est aussi celui utilisé par Otto Neurath bien connu en design graphique pour simplifier la visualisation de données à l’aide du codage « isotype » qui procède par simple addition et juxtaposition visuelle des datas dans les graphiques.
Ce système dynamique et instable toujours possiblement repositionable comme un patron de confection expose ironiquement la matérialité de la peinture aux nouveaux espaces de jeux, aux écrans et aux représentations liminaires. Face à la standardisation du visible, la touche expose le regard à l’ultime échelle de mesure pour peindre et se réapproprier facétieusement le monde.