Coder pour dessiner, c’est faire le choix de réexaminer les possibilités actuelles de production graphique. Quand et pourquoi faire aboutir un projet graphique ? Comment dessine t-on un programme? Quand et pourquoi reprendre la main ? La démarche de conception graphique et algorithmique relativise la maitrise individuelle de création graphique. Il faut dessiner avec des données, triturer et repriser le code, se laisser aller à l’ivresse des nombres et à leurs imprévus, accepter de laisser le programme s’abandonner au calcul ou à son plantage quand le résultat nous piège. Au final pourtant, cette forme de création interroge les limites du processus d’émancipation graphique et celles de sa réception esthétique par les publics.
Bien médiatisées en Europe et aux États unis (des institutions muséales et des fondations leur sont dédiées), les productions graphiques du dessin génératif ne s’exposent pas et restent malheureusement en France le plus souvent au stade du gimmick. Elles manquent de visibilité et d’une reconnaissance culturelle, artistique et patrimoniale alors qu’elles s’inscrivent dans une filiation identifiable, à partir du Computer Art qui, à partir des années 60 et 70, renouvelle les approches expérimentales de la forme et de la couleur avec l’irruption de l’ordinateur dans le processus de création artistique.
L’ensauvagement graphique du code retrace un parcours et un ensemble d’études, de créations graphiques et de textes conduisant un processus de recherche en dessin dans un environnement numérique. Les effets du code et la matérialité des données du dessin génératif réalisé avec une table traçante manifeste le symptôme d’une époque de transition, d’une forme irrésolue. La singularité du dessin exécuté au traceur sur la feuille de papier agit comme la production de micro espaces concrets qui maintiennent le lien tangible entre l’écriture ancestrale des signes et le code numérique qui chiffre désormais les affaires du monde.
Portant un regard critique sur la transition du dessin vers les parcours graphiques et ses logiques computationnelles, j’ enquête sur l’intérêt esthétique du tracé par ordinateur en l’interrogeant à partir de chemins de traverses que je parcours depuis le début des années 80. D’une manière retorse, j’interroge les données captées par la visualisation dans le processus de conception et de fabrication du dessin à la machine. Comment le code et les tracés graphiques peuvent-ils se conjuguer pour produire de nouvelles formes d’émancipation ? La radicalité esthétique du dessin génératif, programmé, noir et blanc, se joue des standards et les dépasse en produisant volontairement du presque rien à l’échelle d’un monde travaillé par la digitalisation.
PB/ 2/11/19